jeudi 24 mars 2011

TV 5°1

« Oh si j’étais... »

Louise Labé
Oh, si j’étais en ce beau sein ravie
De celui-là pour lequel vais mourant :
Si avec lui vivre le demeurant
De mes courts jours ne m’empêchait envie :

Si m’accolant me disait : chère Amie,
Contentons-nous l’un l’autre ! s’assurant
Que jà tempête, Euripe, ni Courant
Ne nous pourra disjoindre en notre vie :

Si de mes bras le tenant accolé,
Comme du lierre est l’arbre encercelé,
La mort venait, de mon aise envieuse,

Lors que, souef, plus il me baiserait,
Et mon esprit sur ses lèvres fuirait,
Bien je mourrais, plus que vivante, heureuse.

TV LE BEAU GOSS

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.Parfum exotique MM 5ème1

Parfum exotique

Charles Baudelaire
 
Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d’automne,
Je respire l’odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux
Qu’éblouissent les feux d’un soleil monotone ;

Une île paresseuse où la nature donne
Des arbres singuliers et des fruits savoureux ;
Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont l’œil par sa franchise étonne.

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,
Je vois un port rempli de voiles et de mâts
Encor tout fatigués par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers,
Qui circule dans l’air et m’enfle la narine,
Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.

CB 5°1

                                     « La lune blanche... »

                                                                Paul Verlaine

La lune blanche
Luit dans les bois ;
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée...

Ô bien-aimée.

L’étang reflète,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure...

Rêvons, c’est l’heure.

Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l’astre irise...

C’est l’heure exquise.

CM et SL 5°1

« Un rêve de bonheur... »

François Coppée
Un rêve de bonheur qui souvent m’accompagne,
C’est d’avoir un logis donnant sur la campagne,
Près des toits, tout au bout du faubourg prolongé,
Où je vivrais ainsi qu’un ouvrier rangé.
C’est là, me semble-t-il, qu’on ferait un bon livre.
En hiver, l’horizon des coteaux blancs de givre ;
En été, le grand ciel et l’air qui sent les bois ;
Et les rares amis, qui viendraient quelquefois
Pour me voir, de très loin, pourraient me reconnaître,
Jouant du flageolet, assis à ma fenêtre.

Brise Marine MS 5ème1

Brise marine

Stéphane Mallarmé
La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.
Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres
D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !
Rien, ni les vieux jardins reflétés par tes yeux
Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe
Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
Lève l’ancre pour une exotique nature !
Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs !
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages
Sont-ils de ceux qu’un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots...
Mais, ô mon cœur, entends le chant des matelots !

EL 5°1

Liberté

Charles Cros
Le vent impur des étables
Vient d’Ouest, d’Est, du Sud, du Nord.
On ne s’assied plus aux tables
Des heureux, puisqu’on est mort.

Les princesses aux beaux râbles
Offrent leurs plus doux trésors.
Mais on s’en va dans les sables
Oublié, méprisé, fort.

On peut regarder la lune
Tranquille dans le ciel noir.
Et quelle morale ?... aucune.

Je me console à vous voir,
À vous étreindre ce soir
Amie éclatante et brune.

PB 5°1



Arthur Rimbaud
« RÊVE »

On a faim dans la chambrée -
C’est vrai...
Émanations, explosions,
Un génie : Je suis le gruère !
Lefèbvre : Keller !
Le génie : Je suis le Brie !
Les soldats coupent sur leur pain :
C’est la vie !
Le génie : - Je suis le Roquefort !
- Ça s’ra not’ mort...
- Je suis le gruère
Et le brie... etc...

VALSE

On nous a joints, Lefebvre et moi... etc...

TV 5ème1

« En regardant vers le pays... »

Charles d’Orléans
En regardant vers le pays de France,
Un jour m’advint, à Douvres sur la mer,
Qu’il me souvint de la douce plaisance
Que je soulais au dit pays trouver ;
Si commençai de cœur à soupirer,
Combien certes que grand bien me faisoit
De voir France que mon cœur aimer doit.
Je m’avisai que c’était non savance
De tels soupirs dedans mon cœur garder,
Vu que je vois que la voie commence
De bonne paix, qui tous biens peut donner ;
Pour ce, tournai en confort mon penser ;
Mais non pourtant mon cœur ne se lassoit
De voir France que mon cœur aimer doit.
Alors chargeai en la nef d’Espérance
Tous mes souhaits, en leur priant d’aller
Outre la mer, sans faire demeurance,
Et à France de me recommander.
Or nous donn’ Dieu bonne paix sans tarder !
Adonc aurai loisir, mais qu’ainsi soit,
De voir France que mon cœur aimer doit.
Paix est trésor qu’on ne peut trop louer.
Je hais guerre, point ne la dois priser ;
Destourbé m’a longtemps, soit tort ou droit,
De voir France que mon cœur aimer doit !

TB 5°1

Parfum exotique

Charles Baudelaire
Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d’automne,
Je respire l’odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux
Qu’éblouissent les feux d’un soleil monotone ;

Une île paresseuse où la nature donne
Des arbres singuliers et des fruits savoureux ;
Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont l’œil par sa franchise étonne.

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,
Je vois un port rempli de voiles et de mâts
Encor tout fatigués par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers,
Qui circule dans l’air et m’enfle la narine,
Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.

ERS 5°1

                    Heureux qui comme Ulysse


Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Quand reverrai-je, hélas ! de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux :
Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine,

Plus mon Loire Gaulois que le Tibre Latin,
Plus mon petit Liré que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la douceur Angevine.

LR 5°1


Idiot

Germain Nouveau
Nous lisons dans Legrand du Saulle
Que le crétin a du goût pour
L’arithmétique... tiens ! c’est drôle !
Et la musique... du tambour.
Qu’il a du goût pour la peinture ;
J’en ai fait... pas... beaucoup, beaucoup,
Mais Henri Laujol s’aventure
Jusqu’à me trouver quelque goût.
J’aime beaucoup l’arithmétique ;
Ne disons pas cela trop haut ;
Mais la musique ! Oh ! la musique !
Je suis peut-être un idiot.
Et j’embrasse Legrand du Saulle
Pour n’avoir pas dit qu’un crétin
Peut faire en vers planter un saule
Bien connu du Quartier Latin.

AN 5°1

Le Voyage

Charles Baudelaire
À Maxime Du Camp
I

Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes,
L’univers est égal à son vaste appétit.
Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !

Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
Le cœur gros de rancune et de désirs amers,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
Berçant notre infini sur le fini des mers :

Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme ;
D’autres, l’horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,
Astrologues noyés dans les yeux d’une femme,
La Circé tyrannique aux dangereux parfums.

Pour n’être pas changés en bêtes, ils s’enivrent
D’espace et de lumière et de cieux embrasés ;
La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,
Effacent lentement la marque des baisers.

Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir ; cœurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !

Ceux-là, dont les désirs ont la forme des nues,
Et qui rêvent, ainsi qu’un conscrit le canon,
De vastes voluptés, changeantes, inconnues,
Et dont l’esprit humain n’a jamais su le nom !

II

Nous imitons, horreur ! la toupie et la boule
Dans leur valse et leurs bonds ; même dans nos sommeils
La Curiosité nous tourmente et nous roule,
Comme un Ange cruel qui fouette des soleils.

Singulière fortune où le but se déplace,
Et, n’étant nulle part, peut être n’importe où !
Où l’Homme, dont jamais l’espérance n’est lasse,
Pour trouver le repos court toujours comme un fou !

Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie ;
Une voix retentit sur le pont : « Ouvre l’œil ! »
Une voix de la hune, ardente et folle, crie :
« Amour... gloire... bonheur ! » Enfer ! c’est un écueil !

Chaque îlot signalé par l’homme de vigie
Est un Eldorado promis par le Destin ;
L’Imagination qui dresse son orgie
Ne trouve qu’un récif aux clartés du matin.

Ô le pauvre amoureux des pays chimériques !
Faut-il le mettre aux fers, le jeter à la mer,
Ce matelot ivrogne, inventeur d’Amériques
Dont le mirage rend le gouffre plus amer ?

Tel le vieux vagabond, piétinant dans la boue,
Rêve, le nez en l’air, de brillants paradis ;
Son œil ensorcelé découvre une Capoue
Partout où la chandelle illumine un taudis.

III

Étonnants voyageurs ! quelles nobles histoires
Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers !
Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires,
Ces bijoux merveilleux, faits d’astres et d’éthers.

Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile !
Faites, pour égayer l’ennui de nos prisons,
Passer sur nos esprits, tendus comme une toile,
Vos souvenirs avec leurs cadres d’horizons.

Dites, qu’avez-vous vu ?

IV

« Nous avons vu des astres
Et des flots ; nous avons vu des sables aussi ;
Et, malgré bien des chocs et d’imprévus désastres,
Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici.

La gloire du soleil sur la mer violette,
La gloire des cités dans le soleil couchant,
Allumaient dans nos coeurs une ardeur inquiète
De plonger dans un ciel au reflet alléchant.

Les plus riches cités, les plus beaux paysages,
Jamais ne contenaient l’attrait mystérieux
De ceux que le hasard fait avec les nuages.
Et toujours le désir nous rendait soucieux !

- La jouissance ajoute au désir de la force.
Désir, vieil arbre à qui le plaisir sert d’engrais,
Cependant que grossit et durcit ton écorce,
Tes branches veulent voir le soleil de plus près !

Grandiras-tu toujours, grand arbre plus vivace
Que le cyprès ? - Pourtant nous avons, avec soin,
Cueilli quelques croquis pour votre album vorace,
Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin !

Nous avons salué des idoles à trompe ;
Des trônes constellés de joyaux lumineux ;
Des palais ouvragés dont la féerique pompe
Serait pour vos banquiers un rêve ruineux ;

Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse ;
Des femmes dont les dents et les ongles sont teints,
Et des jongleurs savants que le serpent caresse. »

V

Et puis, et puis encore ?

VI

« Ô cerveaux enfantins !

Pour ne pas oublier la chose capitale,
Nous avons vu partout, et sans l’avoir cherché,
Du haut jusques en bas de l’échelle fatale,
Le spectacle ennuyeux de l’immortel péché :

La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide,
Sans rire s’adorant et s’aimant sans dégoût ;
L’homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide,
Esclave de l’esclave et ruisseau dans l’égout ;

Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote ;
La fête qu’assaisonne et parfume le sang ;
Le poison du pouvoir énervant le despote,
Et le peuple amoureux du fouet abrutissant ;

Plusieurs religions semblables à la nôtre,
Toutes escaladant le ciel ; la Sainteté,
Comme en un lit de plume un délicat se vautre,
Dans les clous et le crin cherchant la volupté ;

L’Humanité bavarde, ivre de son génie,
Et, folle maintenant comme elle était jadis,
Criant à Dieu, dans sa furibonde agonie :
« Ô mon semblable, ô mon maître, je te maudis ! »

Et les moins sots, hardis amants de la Démence,
Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin,
Et se réfugiant dans l’opium immense !
- Tel est du globe entier l’éternel bulletin. »

VII

Amer savoir, celui qu’on tire du voyage !
Le monde, monotone et petit, aujourd’hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image :
Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui !

Faut-il partir ? rester ? Si tu peux rester, reste ;
Pars, s’il le faut. L’un court, et l’autre se tapit
Pour tromper l’ennemi vigilant et funeste,
Le Temps ! Il est, hélas ! des coureurs sans répit,

Comme le Juif errant et comme les apôtres,
À qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau,
Pour fuir ce rétiaire infâme : il en est d’autres
Qui savent le tuer sans quitter leur berceau.

Lorsque enfin il mettra le pied sur notre échine,
Nous pourrons espérer et crier : En avant !
De même qu’autrefois nous partions pour la Chine,
Les yeux fixés au large et les cheveux au vent,

Nous nous embarquerons sur la mer des Ténèbres
Avec le cœur joyeux d’un jeune passager.
Entendez-vous ces voix, charmantes et funèbres,
Qui chantent : « Par ici ! vous qui voulez manger

Le Lotus parfumé ! c’est ici qu’on vendange
Les fruits miraculeux dont votre cœur a faim ;
Venez vous enivrer de la douceur étrange
De cette après-midi qui n’a jamais de fin ! »

À l’accent familier nous devinons le spectre ;
Nos Pylades là-bas tendent leurs bras vers nous.
« Pour rafraîchir ton cœur nage vers ton Électre ! »
Dit celle dont jadis nous baisions les genoux.

VIII

Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l’ancre !
Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l’encre,
Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons !

Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte !
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ?
Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau !

ML 5°1

Ultima verba  Victor Hugo  La conscience humaine est morte ; dans l’orgie, Sur elle il s’accroupit ; ce cadavre lui plaît ; Par moments, gai, vainqueur, la prunelle rougie, Il se retourne et donne à la morte un soufflet.  La prostitution du juge est la ressource. Les prêtres font frémir l’honnête homme éperdu ; Dans le champ du potier ils déterrent la bourse ; Sibour revend le Dieu que Judas a vendu.  Ils disent : - César règne, et le Dieu des armées L’a fait son élu. Peuple, obéis, tu le dois ! - Pendant qu’ils vont chantant, tenant leurs mains fermées, On voit le sequin d’or qui passe entre leurs doigts.  Oh ! tant qu’on le verra trôner, ce gueux, ce prince, Par le pape béni, monarque malandrin, Dans une main le sceptre et dans l’autre la pince, Charlemagne taillé par Satan dans Mandrin ;  Tant qu’il se vautrera, broyant dans ses mâchoires Le serment, la vertu, l’honneur religieux, Ivre, affreux, vomissant sa honte sur nos gloires ; Tant qu’on verra cela sous le soleil des cieux ;  Quand même grandirait l’abjection publique À ce point d’adorer l’exécrable trompeur ; Quand même l’Angleterre et même l’Amérique Diraient à l’exilé : - Va-t’en ! nous avons peur !  Quand même nous serions comme la feuille morte ; Quand, pour plaire à César, on nous renierait tous ; Quand le proscrit devrait s’enfuir de porte en porte, Aux hommes déchiré comme un haillon aux clous ;  Quand le désert, où Dieu contre l’homme proteste, Bannirait les bannis, chasserait les chassés ; Quand même, infâme aussi, lâche comme le reste, Le tombeau jetterait dehors les trépassés ;  Je ne fléchirai pas ! Sans plainte dans la bouche, Calme, le deuil au cœur, dédaignant le troupeau, Je vous embrasserai dans mon exil farouche, Patrie, ô mon autel ! Liberté, mon drapeau !  Mes nobles compagnons, je garde votre culte ; Bannis, la République est là qui nous unit. J’attacherai la gloire à tout ce qu’on insulte ; Je jetterai l’opprobre à tout ce qu’on bénit !  Je serai, sous le sac de cendre qui me couvre, La voix qui dit : malheur ! la bouche qui dit : non ! Tandis que tes valets te montreront ton Louvre, Moi, je te montrerai, César, ton cabanon.  Devant les trahisons et les têtes courbées, Je croiserai les bras, indigné, mais serein. Sombre fidélité pour les choses tombées, Sois ma force et ma joie et mon pilier d’airain !  Oui, tant qu’il sera là, qu’on cède ou qu’on persiste, Ô France ! France aimée et qu’on pleure toujours, Je ne reverrai pas ta terre douce et triste, Tombeau de mes aïeux et nid de mes amours !  Je ne reverrai pas ta rive qui nous tente, France ! hors le devoir, hélas ! j’oublierai tout. Parmi les éprouvés je planterai ma tente : Je resterai proscrit, voulant rester debout.  J’accepte l’âpre exil, n’eût-il ni fin ni terme, Sans chercher à savoir et sans considérer Si quelqu’un a plié qu’on aurait cru plus ferme, Et si plusieurs s’en vont qui devraient demeurer.  Si l’on n’est plus que mille, eh bien, j’en suis ! Si même Ils ne sont plus que cent, je brave encor Sylla ; S’il en demeure dix, je serai le dixième ; Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là !

LM 5°1


J'aime l'araignée et j'aime l'ortie,
Parce qu'on les hait ;
Et que rien n'exauce et que tout châtie
Leur morne souhait ;

Parce qu'elles sont maudites, chétives,
Noirs êtres rampants ;
Parce qu'elles sont les tristes captives
De leur guet-apens ;

Parce qu'elles sont prises dans leur oeuvre ;
Ô sort ! fatals noeuds !
Parce que l'ortie est une couleuvre,
L'araignée un gueux;

Parce qu'elles ont l'ombre des abîmes,
Parce qu'on les fuit,
Parce qu'elles sont toutes deux victimes
De la sombre nuit...

Passants, faites grâce à la plante obscure,
Au pauvre animal.
Plaignez la laideur, plaignez la piqûre,
Oh ! plaignez le mal !

Il n'est rien qui n'ait sa mélancolie ;
Tout veut un baiser.
Dans leur fauve horreur, pour peu qu'on oublie
De les écraser,

Pour peu qu'on leur jette un oeil moins superbe,
Tout bas, loin du jour,
La vilaine bête et la mauvaise Murmurent : Amour !

SB 5ème1

Côte d’Azur - Nice

Henry Levey

À Francis Jourdain.
L’Écosse s’est voilée de ses brumes classiques,
Nos plages et nos lacs sont abandonnés ;
Novembre, tribunal suprême des phtisiques,
M’exile sur les bords de la Méditerranée...

J’aurai un fauteuil roulant « plein d’odeurs légères »
Que poussera lentement un valet bien stylé
Un soleil doux vernira mes heures dernières,
Cet hiver, sur la Promenade des Anglais...

Pendant que Jane, qui est maintenant la compagne
D’un sain et farouche éleveur de moutons
Émaille de sa grâce une prairie australe
De plus de quarante milles carrés, me dit-on,

Et quand le sang pâle et froid de mon crépuscule
Aura terni le flot méditerranéen,
Là-bas, dans la Nouvelle Galles du Sud,
L’aube d’un jour d’été l’éveillera... C’est bien !...

LD 5ème1

La Griesche d’hiver

Rutebeuf
Contre le temps qu’arbre défeuille,
Qu’il ne remaint en branche feuille
Qui n’aille à terre,
Par pauvreté qui moi atterre,
Qui de toutes parts me muet guerre
Contre l’hiver,
Dont moult me sont changés les vers,
Mon dit commence trop divers
De pauvre histoire.
Pauvre sens et pauvre mémoire
M’a Dieu donné, le roi de gloire,
Et pauvre rente,
Et froid au cul quand bise vente :
Le vent me vient, le vent m’évente
Et trop souvent
Plusieurs foïes sent le vent.
Bien me l’eut griesche en couvent
Quanques me livre :
Bien me paie, bien me délivre,
Contre le sou me rend la livre
De grand pauverte.
Pauvreté est sur moi reverte :
Toujours m’en est la porte ouverte,
Toujours y suis
Ni nulle fois ne m’en échuis.
Par pluie mouill’, par chaud essuis :
Ci a riche homme !
Je ne dors que le premier somme.
De mon avoir ne sais la somme,
Qu’il n’y a point.
Dieu me fait le temps si à point
Noire mouche en été me poind,
En hiver blanche.
Issi suis comm’ l’osière franche
Ou comm’ les oiseaux sur la branche :
En été chante,
En hiver pleure et me guermante,
Et me défeuille aussi comm’ l’ente
Au premier gel.
En moi n’a ni venin ni fiel :
Il ne me remaint rien sous ciel,
Tout va sa voie.
Les enviails que je savoie
M’ont avoyé quanques j’avoie
Et fourvoyé,
Et fors de voie dévoyé.
Fols enviaux ai envoyé,
Or m’en souviens.
Or vois-je bien, tout va, tout vient :
Tout venir, tout aller convient,
Fors que bienfait.
Les dés que les déciers ont fait
M’ont de ma robe tout défait ;
Les dés m’occient,
Les dés m’aguettent et épient,
Les dés m’assaillent et défient,
Ce pèse moi.
Je n’en puis mais, si je m’émeus :
Ne vois venir avril ni mai,
Voici la glace.
Or suis entré en male trace ;
Les trahiteurs de pute extrace
M’ont mis sans robe.
Le siècles est si plein de lobe !
Qui auques a, si fait le gobe ;
Et je, que fais,
Qui de pauvreté sens le fait ?
Griesche ne me laisse en paix,
Moult me dérroie,
Moult m’assaut et moult me guerroie ;
Jamais de ce mal ne garroie
Par tel marché.
Trop ai en mauvais lieu marché ;
Les dés m’ont pris et emparché :
Je les claims quitte !
Fol est qu’à leur conseil habite :
De sa dette pas ne s’acquitte,
Ainçois s’encombre ;
De jour en jour accroit le nombre.
En été ne quiert-il pas l’ombre
Ni froide chambre,
Que nus lui sont souvent les membres :
Du deuil son voisin ne lui membre,
Mais le sien pleure.
Griesche lui a courru seure,
Dénué l’a en petit d’heure,
Et nul ne l’aime.
Cil qui devant cousin le clame
Lui dit en riant : « Ci faut trame
Par lècherie.
Foi que tu dois sainte Marie,
Cor va ore en la Draperie
Du drap accroire ;
Si le drapier ne t’en veux croire,
Si t’en revas droit à la foire
Et va au Change.
Si tu jures Saint Michel l’ange
Que tu n’as sur toi lin ni lange
Où ait argent,
L’on te verra moult beau sergent,
Bien t’apercevront la gent :
Créüs seras.
Quand d’ilueques remouveras,
Argent ou faille emporteras. »
Or a sa paie.
Ainsi vers moi chacun s’apaie :
Je n’en puis mais.

MH 5°1

C’est l’heure où l’âme famélique des repus
Agonise, parmi les festins corrompus.

Et les Mangeurs d’herbe ont aiguisé leurs dents vertes
Sur les prés d’octobre aux corolles larges ouvertes,

Les prés d’un ton de bois où se rouillent les clous...
Ils boivent la rosée avec de longs glous-glous.

L’été brun s’abandonne en des langueurs jalouses,
Et les Mangeurs d’herbe ont défleuri les pelouses.

Ils mastiquent le trèfle à la saveur du miel
Et les bleuets des champs plus profonds que le ciel.

Innocents, et pareils à la brebis naïve,
Ils ruminent, en des sifflements de salive.

Indifférents au vol serré des hannetons,
Nul ne les vit jamais lever leurs yeux gloutons.

Et, plus dominateur qu’un fracas de victoires,
S’élève grassement le bruit de leurs mâchoires.

LB 5°1

Côte d’Azur - Nice

Henry Levey

À Francis Jourdain.
L’Écosse s’est voilée de ses brumes classiques,
Nos plages et nos lacs sont abandonnés ;
Novembre, tribunal suprême des phtisiques,
M’exile sur les bords de la Méditerranée...

J’aurai un fauteuil roulant « plein d’odeurs légères »
Que poussera lentement un valet bien stylé
Un soleil doux vernira mes heures dernières,
Cet hiver, sur la Promenade des Anglais...

Pendant que Jane, qui est maintenant la compagne
D’un sain et farouche éleveur de moutons
Émaille de sa grâce une prairie australe
De plus de quarante milles carrés, me dit-on,

Et quand le sang pâle et froid de mon crépuscule
Aura terni le flot méditerranéen,
Là-bas, dans la Nouvelle Galles du Sud,
L’aube d’un jour d’été l’éveillera... C’est bien !...

LL 5°1

« On doit le temps... »

Jean Froissart

On doit le temps ainsi prendre qu’il vient,
Toudis ne peut durer une fortune.

Un temps se part, et puis l’autre revient.
On doit le temps ainsi prendre qu’il vient.

Je me conforte à ce qu’il me souvient
Que tous les mois avons nouvelle lune.
On doit le temps ainsi prendre qu’il vient,
Toudis ne peut durer une fortune.

SL et CM 5°1

« La lune blanche... »

Paul Verlaine
La lune blanche
Luit dans les bois ;
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée...

Ô bien-aimée.

L’étang reflète,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure...

Rêvons, c’est l’heure.

Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l’astre irise...

C’est l’heure exquise.

EL 5°1

Le Café

Jacques Delille

Il est une liqueur, au poète plus chère,
Qui manquait à Virgile, et qu’adorait Voltaire ;
C’est toi, divin café, dont l’aimable liqueur
Sans altérer la tête épanouit le cœur.
Aussi, quand mon palais est émoussé par l’âge,
Avec plaisir encor je goûte ton breuvage.
Que j’aime à préparer ton nectar précieux !
Nul n’usurpe chez moi ce soin délicieux.
Sur le réchaud brûlant moi seul tournant ta graine,
À l’or de ta couleur fais succéder l’ébène ;
Moi seul contre la noix, qu’arment ses dents de fer,
Je fais, en le broyant, crier ton fruit amer,
Charmé de ton parfum, c’est moi seul qui dans l’onde
Infuse à mon foyer ta poussière féconde ;
Qui, tour à tour calmant, excitant tes bouillons,
Suis d’un œil attentif tes légers tourbillons.
Enfin, de ta liqueur lentement reposée,
Dans le vase fumant la lie est déposée ;
Ma coupe, ton nectar, le miel américain,
Que du suc des roseaux exprima l’Africain,
Tout est prêt : du Japon l’émail reçoit tes ondes,
Et seul tu réunis les tributs des deux mondes.
Viens donc, divin nectar, viens donc, inspire-moi.
Je ne veux qu’un désert, mon Antigone et toi.
À peine j’ai senti ta vapeur odorante,
Soudain de ton climat la chaleur pénétrante
Réveille tous mes sens ; sans trouble, sans chaos,
Mes pensers plus nombreux accourent à grands flots.
Mon idée était triste, aride, dépouillée ;
Elle rit, elle sort richement habillée,
Et je crois, du génie éprouvant le réveil,
Boire dans chaque goutte un rayon de soleil.

MC 5°1

 

« La vie est plus vaine une image... »

Paul-Jean Toulet
La vie est plus vaine une image
Que l’ombre sur le mur.
Pourtant l’hiéroglyphe obscur
Qu’y trace ton passage

M’enchante, et ton rire pareil
Au vif éclat des armes ;
Et jusqu’à ces menteuses larmes
Qui miraient le soleil.

Mourir non plus n’est ombre vaine.
La nuit, quand tu as peur,
N’écoute pas battre ton cœur :
C’est une étrange peine.

MT 5°1

 Le vin de l'assassin

Charles Baudelaire
Ma femme est morte, je suis libre !
Je puis donc boire tout mon soûl.
Lorsque je rentrais sans un sou,
Ses cris me déchiraient la fibre.

Autant qu’un roi je suis heureux ;
L’air est pur, le ciel admirable...
Nous avions un été semblable
Lorsque j’en devins amoureux !

L’horrible soif qui me déchire
Aurait besoin pour s’assouvir
D’autant de vin qu’en peut tenir
Son tombeau ; - ce n’est pas peu dire :

Je l’ai jetée au fond d’un puits,
Et j’ai même poussé sur elle
Tous les pavés de la margelle.
- Je l’oublierai si je le puis !

Au nom des serments de tendresse,
Dont rien ne peut nous délier,
Et pour nous réconcilier
Comme au beau temps de notre ivresse,

J’implorai d’elle un rendez-vous,
Le soir, sur une route obscure.
Elle y vint ! - folle créature !
Nous sommes tous plus ou moins fous !

Elle était encore jolie,
Quoique bien fatiguée ! et moi,
Je l’aimais trop ! voilà pourquoi
Je lui dis : Sors de cette vie !

Nul ne peut me comprendre. Un seul
Parmi ces ivrognes stupides
Songea-t-il dans ses nuits morbides
À faire du vin un linceul ?

Cette crapule invulnérable
Comme les machines de fer
Jamais, ni l’été ni l’hiver,
N’a connu l’amour véritable,

Avec ses noirs enchantements,
Son cortège infernal d’alarmes,
Ses fioles de poison, ses larmes,
Ses bruits de chaîne et d’ossements !

- Me voilà libre et solitaire !
Je serai ce soir ivre mort ;
Alors, sans peur et sans remord,
Je me coucherai sur la terre,

Et je dormirai comme un chien !
Le chariot aux lourdes roues
Chargé de pierres et de boues,
Le wagon enragé peut bien

Écraser ma tête coupable
Ou me couper par le milieu,
Je m’en moque comme de Dieu,
Du Diable ou de la Sainte Table !

RO 5.1

Ma fille, laisse là ton aiguille et ta laine ;
Le maître va rentrer ; sur la table de chêne
Avec la nappe neuve aux plis étincelants
Mets la faïence claire et les verres brillants.
Dans la coupe arrondie à l’anse en col de cygne
Pose les fruits choisis sur des feuilles de vigne :
Les pêches que recouvre un velours vierge encor,
Et les lourds raisins bleus mêlés aux raisins d’or.

Que le pain bien coupé remplisse les corbeilles,
Et puis ferme la porte et chasse les abeilles...
Dehors le soleil brûle, et la muraille cuit.
Rapprochons les volets, faisons presque la nuit,
Afin qu’ainsi la salle, aux ténèbres plongée,
S’embaume toute aux fruits dont la table est chargée.
Maintenant, va puiser l’eau fraîche dans la cour ;
Et veille que surtout la cruche, à ton retour,
Garde longtemps, glacée et lentement fondue,
Une vapeur légère à ses flancs suspendue.

AD 5°1


« Beau papillon près du sol... »

Rainer Maria Rilke 
Beau papillon près du sol,
à l’attentive nature
montrant les enluminures
de son livre de vol.

Un autre se ferme au bord
de la fleur qu’on respire - :
ce n’est pas le moment de lire.
Et tant d’autres encor,

de menus bleus, s’éparpillent,
flottant et voletants,
comme de bleues brindilles
d’une lettre d’amour au vent,

d’une lettre déchirée
qu’on était en train de faire
pendant que la destinataire
hésitait à l’entrée.

AV 5°1.

« Dans le lit vaste et dévasté... »

Paul-Jean Toulet
Dans le lit vaste et dévasté
J’ouvre les yeux près d’elle ;
Je l’effleure : un songe infidèle
L’embrasse à mon côté.

Une lueur tranchante et mince
Échancre mon plafond,
Très loin, sur le pavé profond,
J’entends un seau qui grince...

ML 5°1

pointillés

Les Bijoux

Charles Baudelaire
La très-chère était nue, et, connaissant mon cœur,
Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores,
Dont le riche attirail lui donnait l’air vainqueur
Qu’ont dans leurs jours heureux les esclaves des Mores.

Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur,
Ce monde rayonnant de métal et de pierre
Me ravit en extase, et j’aime à la fureur
Les choses où le son se mêle à la lumière.

Elle était donc couchée et se laissait aimer,
Et du haut du divan elle souriait d’aise
À mon amour profond et doux comme la mer,
Qui vers elle montait comme vers sa falaise.

Les yeux fixés sur moi comme un tigre dompté,
D’un air vague et rêveur elle essayait des poses,
Et la candeur unie à la lubricité
Donnait un charme neuf à ses métamorphoses ;

Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins,
Polis comme de l’huile, onduleux comme un cygne,
Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins ;
Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne,

S’avançaient, plus câlins que les Anges du mal,
Pour troubler le repos où mon âme était mise,
Et pour la déranger du rocher de cristal
Où, calme et solitaire, elle s’était assise.

Je croyais voir unis par un nouveau dessin
Les hanches de l’Antiope au buste d’un imberbe,
Tant sa taille faisait ressortir son bassin.
Sur ce teint fauve et brun le fard était superbe !

- Et la lampe s’étant résignée à mourir,
Comme le foyer seul illuminait la chambre,
Chaque fois qu’il poussait un flamboyant soupir,
Il inondait de sang cette peau couleur d’ambre !